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« Il faut toujours se réserver le droit de rire le lendemain de ses idées de la veille »

 

Nous avons parlé les semaines passées de la croissance soutenue et continue du trafic aérien et notamment des 250 millions de passagers aériens en plus en 2018 portant à 4.3 milliards le nombre de passagers aériens. Une croissance annuelle de 5% par an depuis 2002 qui ferait rougir une banane.

Une montre cassée donnant quand même l’heure deux fois par jour, mon sentiment est que malgré les pressions environnementales et géopolitiques la tendance se poursuivra les prochaines décennies avec les avancées technologiques inéluctables qui faciliteront encore plus la mobilité dans les airs.

Si cela ne se passe pas comme prévu, on dira « ah mais qui aurait pu anticiper qu’on modifiera le génome des autruches pour qu’elles puissent voler et nous porter ? » « qui aurait pensé que l’intrication quantique sera une réalité humaine ? » « qui aurait pu penser qu’avec la réalité virtuelle personne ne sortirait plus de chez lui ? »

Napoléon disait « Il faut toujours se réserver le droit de rire le lendemain de ses idées de la veille »

 

Cash Investigation… sans Elise Lucet

Cette semaine, nous allons parler Cash, sortez du placard ce sera sans Elise Lucet. On a beau parler des passagers aériens, on n’a toujours pas touché le fond du sujet sans parler de combien ils rapportent. Nous ferons un raccourci qui en fait cache une méconnaissance inavouée du marché aérien en tant que tel avec le prix des billets, les correspondances, les redevances aéroportuaires et d’autres éléments…

Attardons-nous sur les Samarcande qui ont poussé dans les aéroports, et qui rapportent dit-on des « sommes astronomiques » : le Travel Retail ou le commerce en aéroport (si si vous voyez, le Duty Free, le Relay, le McDo du Terminal 2F à Roissy). Ah oui mais pas que, 1/3 du marché est lié à la vente dans les gares. Bon on va se concentrer dans les analyses sur le marché aérien.

Avec un peu d’archéologie, on pourrait remonter en 1947 en Irlande dans l’aéroport de Shanon pour trouver la trace du premier magasin en aéroport. D’autres font remonter son apparition aux années 30 au Canal de Panama.

L’épopée du Travel Retail

Le Travel Retail représente aujourd’hui plus 60 milliards de dollars de recettes mondiales. Jean-Paul Agon, le CEO emblématique de L’Oréal depuis 2011, qualifiait le Travel Retail de « 6ème continent ». A l’image de L’Oréal, un certain nombre d’entreprises ont même créé des équipes spécifiquement dédiées à ce segment de marché, comme on le ferait pour une région géographique continue.  Avec une croissance annuelle moyenne d’une rare insolence de l’ordre de 8,5% par an, on est en bonne voie de quadrupler les recettes depuis 2002. Evidemment, c’est l’Europe qui se taillait la part du lion au début des années 2000 mais a été depuis 2012 coiffée par l’Asie Pacifique.

La croissance est d’ailleurs tirée principalement par le Moyen-Orient (+13%) et l’Asie Pacifique (14.4%). L’Afrique affiche une belle croissance (7.2%), les Amériques à 6.6% et enfin l’Europe qui a une croissance à deux chiffres (si on en met un après la virgule), à 4.5%.

Mais que consomment tous ces gens parbleu ? Alors, sans surprise aucune le triptyque Parfum, Alcool, Tabac : Parfums et Cosmétiques (30%), vins et spiritueux (16%), Mode et accessoires (15%), Tabac (13%). Le dernier quart mêle de manière quasi égale Bijouterie, Electronique et Confiserie.

La croissance du Travel Retail mondial a marqué le pas en 2009 avec la crise économique (qui est un peu l’argument qui nous arrange tous très bien dès qu’on voit un graphe qui baisse, un peu comme l’effet des gilets jaunes sur les comptes annuels de toutes les entreprises de France et de Navarre). Vous allez me dire qu’évidemment l’explication de la croissance des revenus est tout à fait enfantine : quand on a plus de passagers, bah on a plus de dépenses, point. Alors pas si évident que cela, le panier moyen par passager est en baisse depuis 2013, ce qui mériterait qu’on s’y penche plus longuement. De toute évidence, pour analyser ces comportements, tout comme pour le retail en ville, il vaut se pencher sur l’offre, sur l’évolution du profil des acheteurs ainsi que les facteurs exogènes (politique, réglementations…) pour expliquer plus objectivement les chiffres passés, tenter de sentir le sens du vent et pouvoir s’appuyer dessus pour naviguer plus aisément.

 

Des acheteurs en pleines mutations

A l’apparition des vols commerciaux (où la cigarette était encore autorisée à bord), et même jusqu’au crépuscule du XX siècle, l’avion était réservé pour une large part à une clientèle aisée ou une clientèle d’affaire dont l’employeur payait les billets d’avion qui étaient encore relativement chers. Et malgré le tourbillon du Low Cost, notons tout de même que l’Enquête Nationale auprès des Passagers Aériens en France révèle que plus de 50% de passagers sont des CSP+.

 

Sans aller trop loin dans l’analyse des passagers, notons trois faits majeurs de l’inflexion des profils des passagers : les Millennials prennent de plus en plus l’avion (non accompagnés de leur parents) et représentent désormais le quart des passagers, le Low cost a drainé la classe moyenne dans le Travel Retail, l’appétence pour les classiques Duty Free se réduit de plus en plus conséquence de la modification globale de l’attente qu’ont les passagers envers les services en aéroports.

 

Par ailleurs, le digital et la démocratisation des bas coûts qu’il a engendrée participent à créer une vraie concurrence à l’intérêt de payer moins en Duty Free (ce qui n’est pas/plus le cas pour un certain nombre de produits qui coutent plus chers en Duty Free qu’en ligne, ou pis encore que le retail en ville…). Un certain nombre de passagers ne croit plus en l’intérêt exclusif d’acheter à l’aéroport.

De plus, il faut bien le dire, l’offre de produits en Travel Retail était auparavant différenciante. Néanmoins, avec la démocratisation de points de vente en ville et la floraison en ligne d’une offre quasi illimitée, on n’a plus l’exclusivité des produits d’aéroport qu’on offrirait en cadeau, bien au contraire, l’offre est considérée par certains comme étant has been (on fait fi des « Travel Exclusive » de certaines marques qui n’apportent pas de réelle innovation). Ce constat est principalement caractéristique du passager Européen et Américain mais non des points de ventes en Asie pacifique et Moyen Orient où la clientèle est très friande de l’univers du Luxe occidental, notamment pour offrir des cadeaux. Ainsi, le gouvernement chinois qui a serré les boulons avec les lois anti-corruption (cadeaux) a-t-il participé à la contraction de ce marché, sans pour autant contenir son appétit.

 

Aussi, le Low Cost a permis de démocratiser (et la tendance se poursuit) l’accès au transport aérien à la classe moyenne. Autrefois réservé au court courrier, nous voyons également l’émergence notable du Low Cost long-courier, certes avec un succès plus mitigé et un modèle de rentabilité qui n’a pas encore fait ses preuves pour tout le monde (beaucoup de clés sous les portes). Ainsi, face à une offre qui était initialement destinée à une population CSP++ habituée des aéroports, on se rend compte aujourd’hui notamment dans les aéroports Européens, qu’elle n’est pas adaptée à une classe moyenne qui prend de plus en plus l’avion et qui donc ne dépense pas « assez » en aéroport.

 

Aussi, les offres émergentes (Bio, soins naturels…) sur le marché ne sont admises en Travel Retail qu’avec un temps de latence important. Les acteurs ne veulent en effet pas prendre de risque, étant donné les revenus très confortables des activités traditionnelles. Louis XV disait « quand les poules sont grasses elles ne pondent plus ». Aussi, le manque d’acteurs qui pourraient les déranger disruption n’aide pas à innover (rien ne se fait aujourd’hui sans les acteurs traditionnels : Dufry, Lotte Duty Free, DFS, Lagadère Travel Retail…). Ainsi, une certaine déconnexion existe entre les offres sur le marché en ville / en ligne et celles qui existent dans les aéroports.

 

N’oublions pas également l’impact important des processus aéroportuaires non rentables sur le panier moyen. Face à l’afflux de passagers de plus en plus nombreux, les aéroports ont un vrai défi d’optimisation de la capacité d’accueil et donc la gestion de fils d’attente plus longues. Plus les gens passent leur temps à attendre de se faire contrôler (heureusement que Blooom existe pour aller plus vite), d’enregistrer un bagage (pareil pour Blooom), de passer la douane, moins ils ont le temps d’acheter.

 

Last but not least, les passagers s’ennuient dans les aéroports. On a beau acheter, on cherche quand même à passer le temps avec une expérience de divertissement plus diversifiée. On voit fleurir ici et là un certain nombre d’initiatives mais force est de constater que de manière globale, l’expérience en termes d’occupation du « temps utile » (i.e. de disponibilité du cerveau humain à dépenser) reste limitée.

 

Ainsi, face à ces différents changements de comportements. Les Travel Retailers ont déjà commencé à s’adapter voyant le vent tourner et peut-être craignant l’arrivée d’une innovation qui leur ôterait leur suprématie. Voyons la semaine prochaine comment ? et quels sont les autres moyens qui peuvent être mis au service d’une offre plus innovante et donc plus rentable.