Photo by Samuel Toh on Unsplash

 

“L’ennui fait le fond de la vie, c’est l’ennui qui a inventé les jeux, les distractions, les romans et l’amour.”

Que celui qui ne s’est jamais ennuyé dans un aéroport me jette la première bière.

En raison des processus de sécurité et d’organisation des vols, nous sommes assignés à attendre à chaque fois que nous prenons l’avion : avant, pendant, après les contrôles… souvent à bord de l’avion aussi, après avoir atterri.

Cette malédiction aérienne du temps lent, source d’ennui profond, est justement un formidable générateur de revenus pour l’écosystème aéroportuaire car elle crée du temps de cerveau disponible, si propice à la consommation.

Les aéroports et Travel Retailers le captent aujourd’hui principalement pour commercialiser des produits de mode, cosmétiques ou de l’alimentaire (restauration, alcool, clopes, chocolats…) et des produits électroniques.

Depuis deux décennies, le trafic aérien a doublé pour atteindre 4mrds de passager annuels et les revenus du travel retail aéroportuaire ont quadruplé passant à 70mrd € en 2018. Seulement, le panier moyen par passager est en baisse depuis 2013 (voir Episode 2). Le profil des passagers évolue, les tendances de consommation changent en permanence, la concurrence des offres en ligne est rude. Les aéroports et travel retailers ont plus d’un tour dans leur sac et forcent l’admiration par certains coups d’éclats. Néanmoins, force est de constater que leur agilité est quelque peu entravée par un fort ancrage historique dans le luxe et un lien indéfectible avec les grandes maisons de luxe que l’on connait (et apprécie) tous qui limite l’entrée de nouveaux acteurs. Aussi, leur infrastructure informatique vieillissante ralentit leur mutation digitale, si cruciale.

Et si le temps était venu de muter de Travel Retailer au Travel Experience Provider (TEP) ?

L’ère du Travel Experience Provider ?

La principale différence entre le Travel Retail traditionnel et le Travel Experience Provider est l’offre. Pour le Travel Retailer traditionnel, l’offre est le produit sur gondole. Pour le Travel Experience Provider, il s’agit de toute une expérience qui comprend à la fois l’experience d’achat et aussi l’expérience que propose l’offre achetée (produit, divertissement, culture…).

Une expérience qui repose sur deux piliers : plaisir, responsabilité.

Plaisir car les TEP sont avant tout des entreprises qui offrent un service qui se doit d’être rentable et donc contenir une promesse de plaisir (ou soulagement d’un manque).

Responsabilité : car, comme pour les médias, ils ont entre les mains du temps de cerveau disponible, ce qui engage une forte responsabilité. Responsabilité accrue par la position privilégiée quasi monopolistique de certains Travel Retailers.

Parcourons ensemble quelques idées sur comment reformuler la manière dont les passagers achètent, et également l’offre qui leur est proposée par le Travel Experience Provider.

L’expérience d’achat

L’IATA (International Air Transport Association) a effectué en 2018 le GPS (Global Passenger Survey) en interrogeant plus de 10 000 passagers sur leur expérience en aéroport. L’une des conclusions est la volonté des passagers de voyager simple, efficace et digital (bon ok on ne vous apprend rien, mais c’est important de le dire quand même). Devant une croissance constante des Millenials à bord des aéroports et surtout de business travelers (en anglais pour éviter l’écriture inclusive), l’intégration digitale des différents services est certes une évidence mais pas encore une réalité.

Digitaliser et intégrer

L’expérience d’achat en aéroport est relativement peu digitalisée et les initiatives de digitalisations sont éparses avec une faible notoriété/visibilité qui ferait en sorte qu’elles soient fortement utilisées. L’un des fers de lance de la digitalisation du Travel Retail est le Click & Collect. L’idée est de commander avant d’arriver à l’aéroport et de récupérer son achat directement à l’aéroport de départ ou d’arrivée. Airfree est une belle start-up française qui propose du Click à bord de l’avion et du Collect dans l’aéroport d’arrivée/transit. Ils contournent le vrai obstacle à une expérience digitale dans l’avion : la connexion internet à bord.

Au-delà du Click & Collect en aéroport. On pourrait imaginer aussi du Click & Collect en avion. J’avais imaginé cela pour Blooom : les passagers commanderaient une Blooom lors d’un achat de billet d’avion via leur compagnie aérienne et la recevraient une fois confortablement (ou pas) installé dans leur siège. J’espère que cela verra le jour (si un responsable tombe par miracle sur cette ligne, qu’il me contacte ????).

Martin Moodie, grand gourou du Travel Retail a ainsi confié : « il faut se concentrer sans relâche sur les façons d’engager les voyageurs le plus tôt possible ».

Ainsi, faudrait-il plus globalement connecter les espaces de vente physiques en aéroport avec le monde applicatif utilisé pour le voyage : Airbnb, Expedia, Booking… Par exemple, lors de la réservation d’un voyage en Asie du Sud Est, proposer de recevoir un kit anti-moustique et un k-way pour la mousson à récupérer à l’aéroport d’arrivée.

Il n’y a pas qu’au niveau du Click & Collect que le digital peut impacter l’expérience passager, mais également au niveau du paiement physique. Pourquoi ne pas intégrer les leaders du Travel Retail et proposer un système de fidélité propre aux achats d’aéroports ? pourquoi ne pas créer des partenariats entre compagnies aériennes et Duty Free pour pouvoir utiliser les miles également en achats aéroport ?

Par ailleurs, les Travel Retailers et aéroport doivent transformer leur infrastructure IT vieillissante pour s’adapter aux nouveaux moyens de paiement. Grégoire Servajean-Hilst de Lagardère Travel Retail a confié à LSA : « Nous avons été assez démunis quand nous avons dû déployer Alipay et Wechat (application de messagerie du géant chinois Tencent qui permet aussi de réaliser des paiements ndlr) », la clientèle chinoise étant une des plus dépensière, il est nécessaire de s’y adapter, partout. Les aéroports mettront-il (une fois la technologie stabilisée) un jour en place Amazon Go ou son équivalent chinois Bingobox (ce magasin automatisé équipé de capteurs et de caméras permet aux clients de faire leurs courses sans passer par les caisses) ?

La donnée

En outre, la puissance de la donnée (encore et toujours) n’est pas assez exploitée dans le cadre du Travel Retail (la RGPD : Règlement Général sur la Protection des Données est une encore un bon bouc émissaire). Avec 4 milliards de passagers par an, l’écosystème aérien (compagnies, aéroports, travel retailers) a entre ses mains une pierre d’une valeur inestimable qu’il ne s’est pas encore résolu à polir. Les Travel Retailers ont la conviction que les produits plaisent parce qu’ils sont achetés, mais la vraie question est peuvent-il vendre plus et mieux s’ils proposaient autre chose ? La connaissance client, qui est la raison fondamentale de la donnée, doit être maximisée pour créer une offre qui correspond mieux aux nouveaux profils de passagers.

Location et partage

Enfin, les Travel Retailers sont aujourd’hui centrés sur l’achat, pourquoi ne pas proposer des services de location ou des plateformes de partage de services. Exemple simple et volontairement caricatural, le coussin pour le cou si pratique dans un vol n’est généralement utilisé que dans un avion ou pendant l’attente dans un aéroport. Pourquoi en pas proposer d’en louer un (avec une couverture hygiénique) et le déposer à l’arrivée ?

L’expérience de consommation

L’offre en aéroport est à mon sens le principal levier de croissance de revenus non encore pleinement exploité. Les offres peuvent être plus inclusives.

L’inclusivité des offres se décline sous 3 dimensions : inclure les nouvelles populations, inclure les nouvelles tendances, inclure l’expérience et non seulement le produit. Encore et toujours le Travel Experience Provider.

Inclure les « nouvelles » populations

Les offres aujourd’hui ont une coloration globalement haut de gamme. La classe moyenne ainsi que les millenials ne sont pas suffisamment adressés. Or, ils font grâce aux compagnies Low Cost et à Airbnb de plus en plus partie de la population des aéroports. Ils veulent acheter de manière ludique, simple, avec une plus forte intégration avec leurs applications (que ce soit de réservation de billets/d’hôtel/Airbnb ou également les réseaux sociaux) et ont des codes Marketing que les Travel Retailers n’ont pas encore tous pleinement intégrés (couleurs vives, communication décalée…).

Par ailleurs, les business travelers n’ont pas assez d’espace de travail (à part les espaces Lounge), pourquoi ne pas proposer des espaces de Coworking au sein des aéroports. Aussi pourquoi ne pas connecter les millions/milliards de voyageurs d’affaires présents dans le même aéroport ?

Inclure les nouvelles tendances

Les aéroports sont encore frileux pour intégrer les offres durables. Le Zéro déchet, le Bio sont des tendances de fond (une croissance constante à deux chiffres mais une taille de marché encore faible). Le marché des cosmétiques est en mutation fondamentale avec des emballages biodégradables, plus d’ingrédients naturels, des formulations plus simplifiées. Pourquoi les aéroports ne démocratiseraient-ils pas (je suis en train de tuer la version actuelle de Blooom en disant cela) des vracs (parfums, shampoing…) et des contenants de moins 100ml à disposition dans les aéroports ? La TEP deviendrait un fort catalyseur d’une consommation plus responsable.

Également, proposer une approche plus locale de l’offre. Dag Rasmussen, CEO de Lagardère Travel Retail a ainsi confié aux Echos « Il est vrai que le duty free était devenu assez uniforme. Nous faisons en sorte que le voyageur sache où il est et de donner aux boutiques une forte identité locale. »

 

Inclure de nouvelles offres

L’idée est d’aller au delà du produit pour offrir une expérience diversifiée aux passagers : culture et divertissement, Détente, Collaboration. Encore une fois, les moments d’attente à l’aéroport sont une opportunité inédite pour les Travel Retailers pour proposer une offre « utile ».

Pourquoi ne pas proposer des spectacles, donner la possibilité aux nouveaux talents de tester leur performance face à une scène mondiale : un concert de musique, du stand-up, découverte. Aussi, un showroom pour essayer des innovations technologiques et avoir un retour à vif de millions de passagers. Ainsi, Periscape VR, acteur de la réalité virtuel a-t-il ouvert sa première présence physique à l’aéroport JFK de New York.

Également, pourquoi ne pas proposer des musées et une ambition de culture (payante !) pour occuper ce temps de cerveau disponible. L’aéroport peut-être le catalyseur d’une révolution de la Learning Experience. Imaginez le potentiel du digital avec la réalité virtuelle pour occuper le temps d’attente avec la (re)découverte de l’Histoire, d’informations sur les pays de destinations, des tips de voyages, des conférences. Le voyage commencerait réellement à l’aéroport, qui serait à son tour un vecteur d’épanouissement.

On pense aussi architecture intérieure avec l’aéroport Singapour-Chanqi : un jardin ville, parc botanique, la plus grande cascade intérieure du monde, salons de massage, cinéma…

Plaisir et Responsabilité. Également, pourquoi ne pas proposer des espaces de bien-être avec une salle de sport et des douches ? Créer des lieux d’échange entre passagers ? vous vous imaginez en train de faire un match de foot avec une équipe purement internationale pendant votre escale à Dubai ? Le temps d’attente mis en perspective d’une population (notamment en Europe) de plus en plus vieillissante peut également être mis au service de la santé. Imaginez des diagnostics dans les aéroports qui permettraient de prévenir à temps un mal à venir,  proposer de donner son sang pendant l’attente en aéroport ?

La Travel Retail a entre ses mains le trésor de 4 milliards de passagers prêts à tout (n’exagérons rien) pour s’occuper. Les Travel Retailers ont un rôle clé à jouer pour leur proposer de l’innovation responsable dans le cadre d’une expérience globale où tous les acteurs : aéroport, travel experience providers, fournisseurs, start-up, talents, passagers seraient gagnants et en sortiraient grandis.

 

 

L’humain est aussi clé dans l’expérience d’achat dans le sens d’un accompagnement plus personnalisé mais également l’amélioration des compétences commerciales et de conseil. L’aéroport de Heathrow propose même un service Personal Shopping à réserver 48h avant le départ.